LES RENDEZ-VOUS DE L'HISTOIRE ET DU PATRIMOINE

Aux origines du tourisme à Conques (début du XXe siècle)   

L’été est là, et Conques, malgré le contexte si particulier que nous connaissons, va accueillir son afflux de touristes. Ils contempleront la beauté naturelle du lieu, profiteront pleinement d’une concentration exceptionnelle de richesses patrimoniales et artistiques, et placeront ainsi leurs pas dans les traces anciennes de visiteurs, célèbres ou anonymes.

Il est loin le temps – 1819 – où, en raison de l’état des chemins proches de Conques, on constatait qu’« aucun voyageur n’osera y passer avec sécurité ou du moins sans crainte pour ses jours » ! Mais un siècle plus tard, en 1935, on envisageait désormais le goudronnage de la rue principale du village : « Vu le grand nombre de touristes qui viennent visiter Conques, le centre de la ville se trouve dans un nuage constant de poussières… » 

Entre ces deux dates, il y eut bien sûr le passage de Prosper Mérimée (1837), ainsi que celui de nombreux érudits venus découvrir et étudier l’abbatiale et son trésor. Retenons simplement les noms d’Alfred Darcel (une première fois en 1850), d’Arcisse de Caumont, à la tête de la prestigieuse Société française d’archéologie (1863), ou de l’architecte parisien Paul Abadie (1875) à qui l’on doit notamment la construction de l’église du Sacré-Cœur, à Montmartre.

Sous le Second Empire, en 1860, l’arrivée du chemin de fer à Rodez, à partir de la ligne Brive-Capdenac, facilita la venue d’un nombre non négligeable de touristes et de visiteurs. Par la suite, durant la Belle Epoque (1900-1914), les plus fortunés d’entre eux utilisèrent, comme moyen de locomotion personnel, une automobile pour parvenir jusqu’à la petite cité de sainte Foy.

À l’échelle du département, le tourisme moderne – réfléchi et organisé – vit le jour en 1903, avec la création, à Rodez, du Syndicat d’Initiative de l’Aveyron, dont le premier président fut le docteur Paul Bonnefé. Une revue, L’Aveyron touriste, allait ainsi grandement contribuer à une meilleure connaissance des richesses de la province, sensibilisant aussi ses abonnés locaux à l’amélioration des conditions d’accueil, notamment dans le domaine du transport et de l’hôtellerie.

Ainsi, à l’aube du nouveau siècle, excursionnistes et visiteurs, venus désormais en plus grand nombre découvrir le Rouergue, allaient désormais faire l’objet d’une attention toute particulière !

Considéré à Rodez comme un bienfaiteur pour son action discrète envers les nécessiteux, ce même Paul Bonnefé, qui trouva malheureusement la mort en 1906 au volant de sa propre voiture, aimait parfois retrouver ses amis à Conques, ainsi que l’atteste une précieuse photographie prise vers 1903, au bas de la rue Charlemagne (faubourg de Conques).

Ce cliché rend bien compte de l’impossibilité, pour les adeptes de la modernité, d’accéder alors au cœur du village !  

Le médecin pose ainsi fièrement, au volant de sa De Dion-Bouton. À l’extrême gauche, se devine la silhouette élancée de Léon Froment, compositeur et organiste ruthénois alors très apprécié des mélomanes.  

Le 17 juillet 1907, toujours à Conques, se produisit un  événement en apparence anodin, mais qui dut sans doute faire grande impression auprès d’une population locale, encore peu habituée à ce genre d’exploit : la venue d’une caravane composée de huit automobiles et d’une quarantaine d’excursionnistes – essentiellement des couples –, tous adhérents de l’Automobile-Club du Périgord. Conduit par le marquis de Fayolle, ce groupe de passionnés issus de la noblesse locale, mais qui constituait aussi une bande de joyeux lurons (si l’on en croit le compte-rendu de leur expédition !), avait entrepris un long périple à travers le département de l’Aveyron, à la découverte notamment de la vallée du Lot et des gorges du Tarn.

Prévenu à l’avance de cette visite, le Syndicat d’Initiative de l’Aveyron avait même suggéré au maire de Saint-Parthem – une localité située en amont, en bordure du Lot – de « faire débarrasser la route de tout obstacle qui pourrait provoquer des accidents »…

De leur passage à Conques, il subsiste une photographie, aussi précieuse que la précédente, immortalisant le groupe devant la gendarmerie du village, alors située au bas de celui-ci, dans la vallée du Dourdou. Les pandores locaux avaient même étaient réquisitionnés pour surveiller les précieux véhicules à moteur, issus de différentes marques (Richard-Brasier, Mercédès, Régina Dixi, Darracq, Lorraine-Dietrich, Delage…) !

Rassurons toutefois les visiteurs d’aujourd’hui : depuis cette époque lointaine, les conditions d’accès à Conques sont tout de même devenues plus aisées ; quant au tourisme, il s’est fort heureusement « démocratisé » !

Lire + Lire -

À Conques… histoire de cloches….

En 2018, une spectaculaire intervention, effectuée au moyen d’un hélicoptère, permit la dépose, puis la repose, une fois restaurées, de trois des quatre cloches de l’abbatiale. Lors de cette opération, d’intéressantes observations relatives au patrimoine campanaire du bourg monastique – jusqu’alors assez mal connu – purent être effectuées.

L’abbatiale de Conques n’est pas le seul édifice à conserver des cloches anciennes.  Retenons, à titre d’exemples, celle déposée dans l’église de Noailhac, datée de 1646 et que commanda le chanoine Madrières, ou celle, toujours en place, dans le clocher de l’église de Montignac. Datée de 1597, cette dernière offre la particularité rare de livrer, sur sa robe, le nom du fondeur : « Jehan Duboys m’a faict. »

Bien d’autres cloches ont disparu au cours des temps, désormais révélées seulement par les textes d’archives. Ainsi cette mention de deux fondeurs lorrains qui, en 1619, procèdent à la refonte de deux cloches de l’abbatiale, dont l’une se nommait, comme à la cathédrale de Rodez, la « Mandarelle ». Au cours de la période révolutionnaire, ce ne sont pas moins de six cloches (sur huit) de l’abbatiale qui furent enlevées du clocher et brisées. L’église Saint-Thomas de Cantorbéry en comptait aussi deux, celle du Rosaire une, et toutes trois furent également détruites. La Nation n’avait-elle pas alors besoin de bronze pour confectionner des canons ?

Au XIXe siècle, le clergé local fit refaire les cloches détruites. Pour l’abbatiale, ce fut le cas en 1826 (par les soins du fondeur Cazes), puis en 1843 et 1898 (par l’entreprise Triadou). D’autres campanes plus modestes furent réalisées. Initialement conçue en 1843 pour prendre place dans la tour nord-ouest de l’abbatiale, cette cloche est aujourd’hui visible, avec son armature en fer forgé, au-dessus de la toiture de l’Office de tourisme (Labro, fondeur) ; celle de l’hospice Sainte-Foy (Résidence Dadon) le fut en 1877 par le fondeur Triadou.

Les trois cloches de l’abbatiale, restaurées donc en 2018, sont celles de 1826 et de 1898 – cette dernière voulue par le père Gonzague Florens, curé de Conques –, ainsi que la plus ancienne, datant du début du XVIe siècle, épargnée durant la Révolution française et classée Monument historique en 1963.

C’est bien évidemment cette campane qui a attiré l’attention des spécialistes, intéressés notamment par ses inscriptions latines, en caractères gothiques. Le déchiffrement, rendu parfois difficile en raison du système d’abréviations de certains mots, a pu être néanmoins réalisé, et le sens des messages formulés est désormais parfaitement clair. L’inscription principale renvoie à l’hymne du Dieu victorieux : « Jésus-Christ vainc, Christ règne, Christ commande, Christ nous préserve de tout mal. » L’inscription secondaire, quant à elle, répétée quatre fois, reprend les premiers mots de la prière traditionnelle adressée à la Vierge, l’Angélus : « Je vous salue, Marie, pleine de grâces ; le Seigneur est avec vous. » C’est donc bien la cloche de l’angélus – on la faisait sonner à trois reprises dans la journée – que les habitants de Conques, au cœur de l’orage révolutionnaire, tinrent à préserver de la destruction. À noter enfin, comme seul élément décoratif de cette campane, une figure d’évêque (ou d’abbé), disposée sous un dais architecturé, et reproduite plusieurs fois également. Ce personnage crossé et mitré, bénissant de la main droite, ne pourrait-il pas renvoyer à un possible commanditaire – et l’on pense spontanément à l’abbé Antoine de Marcenac, à la tête de l’abbaye de Conques de 1496 à 1518.

Lire + Lire -

Des tapisseries conçues pour l’abbaye de Conques au  XVIIe siècle

Sous le règne de Louis XIII, l’abbé et les chanoines de Conques acquirent, pour décorer les espaces les plus sacrés de l’abbaye (chœur de l’abbatiale et salle capitulaire), outre des « verdures » destinées à orner le logis abbatial, deux tentures confectionnées par des artisans de la Marche. Ces tapisseries, qui ont su franchir l’obstacle des siècles, représentent, d’une part le martyre de sainte Foy, d’autre part la vie de sainte Marie-Madeleine.

Pour comprendre l’achat de ces somptueuses tapisseries qui évoquent bien sûr l’histoire religieuse – en l’occurrence celle de deux saintes parmi les plus vénérées à Conques – faut-il avancer d’autres raisons plus prosaïques : par exemple l’isolation contre le froid ou le bruit. Peut-être profitait-on aussi d’une opportunité qui se présentait : le passage d’un marchand itinérant, venu démarcher une clientèle fortunée. Et au XVIIe siècle, les tapissiers de la Marche – ceux d’Aubusson et de Felletin – étaient très expérimentés en ce domaine !

Ainsi, en 1622, le marchand Gabriel Danède s’engageait à réaliser, pour le compte du chapitre de Conques et de l’abbé Jean de Mignot, quatre tapisseries illustrant la vie de sainte Foy, ainsi que plusieurs autres pièces décoratives, destinées  à prendre place dans le chœur de l’abbatiale.

Ce premier projet n’ayant pu aboutir, c’est au cours de la décennie suivante que furent commandées les tapisseries qui constituent l’un des joyaux artistiques de Conques.

En 1632, un contrat de prix-fait fut passé avec Georges et Antoine Diverneresse, maîtres tapissiers de Felletin, pour l’exécution et la fourniture de quatre « tapisseryes de layne a filhet simple, garnyes de soyes et laine de Paris » représentant « l’histoire de saincte Foy suivant les memoires qui leur ont esté baillées et escriptes…, avec les noms de saincte Foy, saint Capraise, sainctz Prime, Felisian et Dasian [autant de personnages contemporains de sainte Foy] ». Estimée à la somme de 352 livres tournois, cette tenture parvint à Conques avec un certain retard, au grand dam des chanoines qui constatèrent, en outre, des imperfections au moment du tissage, et même des oublis  – ainsi, le nom des personnages représentés…

Ces quatre tapisseries, autrefois présentées dans la salle du Trésor d’orfèvrerie, sont temporairement tendues, dans le croisillon sud de l’abbatiale, au cours du mois d’octobre, à l’occasion de la Sainte-Foy. Timbrées aux armes du chapitre des chanoines, elles représentent donc : la comparution de saint Caprais, évêque d’Agen, devant le proconsul Dacien, la même scène avec sainte Foy face à son bourreau, enfin le martyre de la jeune chrétienne. 

La seconde tenture, qui évoque les grands moments de la vie de Marie-Madeleine, fut réalisée et livrée au cours de la même période. En effet, un document nous apprend qu’en 1634 le chapitre de Conques, représenté par son chanoine trésorier, devait encore une somme de 300 livres à l’un de ses membres, le chanoine précepteur François de Flory, pour la « vente de huict tantes de tapisserye contenant l’histouere de la Ste Magdelene servant au parement des cheres et du ceur dud chappitre [vraisemblablement la salle capitulaire, elle-même dotée de stalles] ». Ainsi que l’atteste la présence de ses armoiries sur l’une des œuvres, ce dernier chanoine pourrait être l’un des commanditaires de la tenture ou tout au moins le responsable de son acquisition. Mais par déférence sans doute, on tint à faire figurer le blason de l’abbé Jean de Mignot sur cinq de ces huit tapisseries !

On peut toujours admirer cette seconde tenture dans deux salles du musée Joseph-Fau. Parmi les scènes représentées, notons le Repas du Christ chez Simon le Pharisien, la Résurrection de Lazare, les Saintes Femmes au tombeau du Christ, l’arrivée de Marie-Madeleine, Marthe et Lazare dans le port de Marseille, l’Apparition du Christ jardinier à Marie-Madeleine…

Lire + Lire -

Guillaume Chirac, maître menuisier de Conques et concepteur de retables pour l’abbatiale au XVIIe siècle

Le maître menuisier Guillaume Chirac conçut, vers le milieu du XVIIe siècle, de nombreuses boiseries aussi bien pour des particuliers que pour des lieux de culte, comme l’abbatiale de Conques ou l’église Saint-Thomas de Cantorbéry (retables). On peut encore juger de la maîtrise de son art en prêtant un regard attentif au mobilier de l’abbatiale ou à certains éléments conservés au musée Joseph-Fau.

Sa vie durant, ce fils d’un humble cordonnier demeura à Conques, plus précisément dans le quartier de la Lausse. En 1646, il épousa Marie de Raouls et le couple eut au moins quatre enfants, dont l’aîné, Pierre, embrassa la carrière ecclésiastique. Sans doute encore relativement jeune, Guillaume Chirac mourut en 1658.

Dans les deux chapelles rayonnantes ouvrant sur le chevet à déambulatoire de l’abbatiale, au nord et au sud, subsistent, encore en place, deux retables en noyer, dans lesquels viennent prendre place deux tableaux du XVIIe siècle : l’un (au nord) figurant la Sainte Parenté (sainte Anne, la Vierge, saint Joseph et l’Enfant Jésus) ; l’autre (au sud) la Vierge et saint François d’Assise remettant la cordelière à saint Louis (Louis IX) et à sainte Elisabeth de Hongrie.

Rythmé par deux colonnes torsadées supportant un entablement et un fronton triangulaire, le premier retable fut commandé par le chanoine Gaspard Bessayrie qui intégra le chapitre de Conques en 1639, pourvu par la même occasion du prieuré de Prades-de-Salars, sur le Lévézou, jusqu’à sa mort survenue en 1662. Ainsi que nous l’apprend une inscription portée sur chaque dé de colonne, c’est en 1644 qu’il fit réaliser ce retable, n’omettant pas d’y faire figurer ses propres armoiries parlantes : un arbre arraché (sans doute un bouleau, bes en occitan), chargé, au chef, d’un croissant et de deux étoiles.

Le second retable, d’une qualité d’exécution supérieure, présente certaines analogies avec le précédent. Ici, cependant, les colonnes sont cannelées, décorées de pampres de vigne dans leur partie basse. Un blason est pareillement reproduit deux fois à l’identique sur chaque dé. Il se lit ainsi : « trois colonnes en pals entravaillées de branches de chêne, au chef chargé d’un croissant entre deux étoiles ». Ces armoiries appartenaient à un autre chanoine, François Duverdier, qui prit possession du doyenné de l’abbatiale en 1641. Son prénom – François – expliquerait la figuration, sur la toile, de son saint patron : le poverello d’Assise.

Il convient enfin de noter qu’au musée Joseph-Fau, constituant de manière étonnamment hétéroclite le « lit du médecin Pierre Chirac », d’autres éléments de boiseries provenant de retables démembrés ont été réajustés.

D’une facture très proche de ceux de l’abbatiale, on peut y lire, sur le panneau arrière constituant la « tête » du lit, la date de 1636, et sur le panneau de fond le nom de notre menuisier, « M. GME CHIRAC » et une nouvelle fois la date de 1644.

Lire + Lire -

Le village de Conques, en 1801,
d’après l’historien Amans-Alexis Monteil

Le Ruthénois Amans-Alexis Monteil (1769-1850) est l’un des tout premiers historiens du Rouergue. À bien des égards, on peut même le considérer comme l’un des pères, à l’échelle nationale, de la « Nouvelle histoire », grâce à son ouvrage en plusieurs tomes : l’Histoire des Français des divers états (1846-1853). L’homme, de par ses origines et sa fonction durant la période révolutionnaire, connaissait parfaitement la localité de Conques et son riche passé.

Dans sa Description du département de l’Aveiron, qu’il publie à Rodez en 1801-1802, il nous livre un beau témoignage sur ce qu’était alors le bourg, insistant notamment – tel un précurseur du courant romantique – sur le caractère sauvage du site, « rempli d’aspérités et sillonné par des ravins très rapprochés… où l’on ne voit de la terre et du feuillage que dans les fentes des rochers, où le soleil ne laisse descendre qu’une lumière tremblante, où l’on n’entend d’autre bruit que celui d’un torrent qui se précipite du haut de la montagne ».

Mais son œil de géographe s’attache aussi aux caractéristiques topographiques qui font aujourd’hui l’un des charme de Conques : « La ville est située à mi-côté, et la pente de ses rues est si rapide que les puits se trouvent à plain pied des greniers ; si on laissait tomber un peloton de fil au haut de la ville, on est obligé d’aller le chercher au fond. »

Enfin, le regard qu’il porte sur les habitants du lieu, pauvres parmi les plus pauvres, reste celui d’un ethnologue – voire d’un « économiste » avant l’heure – , sensible à la condition humaine : « Dans le temps de la splendeur des cloîtres [comprenons le temps lointain du Moyen Âge où la puissante abbaye bénédictine rayonnait et procurait du travail à ceux qui demeuraient sous son ombre protectrice], Conques était presque entièrement nourri par son chapitre ; ses habitans privés aujourd’hui de cette ressource n’ont d’autre propriété qu’un roc schisteux qu’ils broient continuellement pour tâcher d’y faire croître quelques vignes. Au milieu de tant de misère, on ne trouve ni commerce ni industrie. Cependant il serait possible d’y élever des manufactures ; les vastes bâtimens de l’ancienne abbaye, et surtout des eaux très-propres au décrûment des laines, donneraient de grandes facilités. »

Lire + Lire -

Quand l’érudition parisienne s’intéressait au tympan de Conques (1725-1726)

Nul ne sait qui, le premier, porta un regard admiratif sur le tympan de Conques qu’un sculpteur anonyme et son équipe réalisèrent peu après l’an 1100. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour qu’un célèbre érudit parisien, le bénédictin Bernard de Montfaucon, auteur de plusieurs ouvrages monumentaux – L’Antiquité expliquée et représentée en figures (1719) et Les monumens de la monarchie françoise (1729-1733) – s’intéresse à ce chef-d’œuvre de la sculpture romane.

Sans doute avait-il découvert l’existence du tympan, en feuilletant un ou plusieurs ouvrages imprimés – géographies du royaume, guides de voyage – que l’on commençait à publier régulièrement à partir du règne de Louis XIII et qui faisaient état, pour le Rouergue, d’un dicton louant la beauté du clocher de la cathédrale de Rodez et du tympan de l’abbatiale de Conques. C’est en 1660 que ce dernier monument fut signalé pour la première fois par Davity et Rocoles, dans leur Description générale de l’Europe (t. 2).

Fort de cette information, Montfaucon chargea, en 1725 et 1726, l’un de ses multiples correspondants, le Montpelliérain Bon de Saint-Hilaire, président de la Cour des comptes, de faire procéder à un relevé du tympan par un dessinateur demeuré anonyme. La correspondance échangée entre ces deux érudits, ainsi que les deux sanguines représentant le tympan de Conques, sont aujourd’hui conservées à la Bibliothèque nationale de France.

On relèvera avec intérêt, dans une lettre de Bon, datée du 30 septembre 1725, le passage suivant : « Pour le portail de Conques, l’on est surpris de ce que la curiosité m’enguage d’en demander le plan et le dessein ; et l’on me mande qu’il n’y a rien de curieux dans ce portail qu’une grosse pierre d’unne grandeur énorme qui est sur le haut et qui en fait la beauté, parce que l’on ne peut pas comprendre de quelle manière elle y a esté mise, à cause des précipices  qui entourent ce portail. » Allusion, bien sûr, au caractère sauvage et accidenté du site de Conques.

C’est au début de l’année 1726 que Montfaucon reçut le dessin du tympan – assez sommaire il faut bien en convenir –, puis, en mars, celle de la partie basse et de trumeau où venait alors prendre place une statue de sainte Foy, réalisée en pierre calcaire, dans les années 1450. Cette dernière, déplacée lors des travaux de restauration de l’abbatiale par l’architecte Formigé à la fin du XIXe siècle, est maintenant visible au Musée Joseph-Fau.  

Lire + Lire -

Conques et l’épidémie de choléra en 1842

À l’heure où le Covid-19 occupe tous les esprits et suscite tant d’inquiétudes, intéressons-nous, à l’échelle du village de Conques, à la terrible épidémie de choléra qui se répandit en France, sous la monarchie de Juillet.  Bien que la partie septentrionale du pays – et notamment sa capitale – ait été durement touchée dès le mois de mars 1832, ce n’est que dix ans plus tard que le département de l’Aveyron, à son tour, subit de plein fouet ce fléau. 

Particulièrement contagieux, le choléra est une maladie infectieuse intestinale due à une bactérie, le vibrion cholérique. Elle se caractérise par des diarrhées brutales, et sa forme majeure classique est fatale dans plus de la moitié des cas.

À Conques, au cours de la décennie 1830, on comptait une moyenne de 35 décès par an. Mais brutalement, au début de 1842, le mal se répandit dans la petite cité et dans les villages environnants. Le total des décès, au cours de cette année-là, s’éleva à 74. Parmi la population, le traumatisme fut bien réel, et les autorités locales, impuissantes, restèrent étrangement silencieuses. Toutes les tranches d’âge furent directement concernées. 24 nouveau-nés ou très jeunes enfants décédèrent, de même que 19 adultes dans la force de l’âge ainsi que 26 « vieillards », le plus âgé affichant tout de même ses 93 printemps…

Il convient de noter, directement liée au fléau et en relation avec le patrimoine local, la réponse que le clergé local (en l’occurrence le curé Turc-Calsade) apporta : le changement de vocable de la chapelle Notre-Dame du Château, désormais placée sous celui de saint Roch, ainsi que l’exécution, par le peintre ruthénois Jean-Baptiste Delmas en 1843, d’une toile représentant ce saint intercesseur – accompagné de son chien nourricier –, qui découvre sur sa cuisse un bubon pesteux.

Aujourd’hui conservé au musée Joseph-Fau, ce tableau, certes d’une facture naïve, offre néanmoins le grand intérêt de nous présenter, dans sa partie basse, une vue de la façade occidentale de l’abbatiale, encore dépourvue de ses deux tours que l’architecte Jean-Camille Formigé imagina pour elle, au début des années 1880.

Lire + Lire -

Le théâtre sacré à Conques à la fin du XIXe siècle

C'est en 1890 qu'eut lieu à Conques la première représentation d'un drame sacré évoquant le Mystère de la Passion du Christ. À l'origine de cet événement théâtral, régulièrement joué pendant quelques années lors des fêtes pascales, se trouvait le père Gonzague Florens, supérieur de la communauté des Prémontrés.

 

Outre bien sûr l'aspect festif de la cérémonie qui n'était sans doute pas pour déplaire aux populations campagnardes d'alors, le spectacle proposé visait avant tout à l'édification des fidèles.

Personnalité attachante que celle de cet ecclésiastique - en religion le père Marie-Bernard - qui sacrifia de son temps pour concevoir et mettre sur pied ce Mystère. À partir des textes bibliques, il en rédigea le scénario, choisit le livret musical, régla les problèmes techniques et matériels inhérents au spectacle (conception des décors et des costumes, mise en place de la machinerie, élaboration des jeux de lumière au moyen de lustres...). Le plus difficile, cependant, demeura l'encadrement des acteurs - une soixantaine environ - choisis exclusivement parmi la population masculine du village. Sans doute s'avéra-t-il nécessaire, de temps à autre, d'adoucir au moyen d'un maquillage, les traits parfois trop virils de ces comédiens amateurs dont certains se virent confier les rôles de la Vierge ou de Marie-Madeleine...

Encadrant les temps forts du cycle pascal, la Passion du Christ se jouait habituellement à cinq reprises, et chacune des séances se prolongeait trois heures durant.

La scène avait été installée à l'intérieur de l'abbatiale, au fond de la nef, sous la tribune portant l'orgue. Un système de levage, à base de poulies et de cordages, permettait de mouvoir, par exemple, le personnage du Christ ressuscité, dans la scène finale de l'Ascension, sous le regard à la fois stupéfait et émerveillé d'un public enthousiaste, venu en masse et parfois de très loin (Toulouse, Albi, Figeac...). Au cours des trois premières années, plusieurs milliers de personnes, ayant payé un billet d'entrée, furent ainsi comptabilisées sous les voûtes de l'église romane. Le déclenchement de la Première Guerre mondiale mit un terme à cette manifestation hautement symbolique qui demanderait à être replacée dans le contexte politique et religieux fort agité du temps.

Lire + Lire -

La chapelle des abbés, à Conques, et son exceptionnel décor peint du début du XVIe siècle

Réservée aux abbés du monastère, mais portant aussi, à partir de 1623, le vocable du Rosaire, cette chapelle, située au sud-est de l'abbatiale, dans l'enclos des bâtiments conventuels, fut construite au cours de la seconde moitié du XVe siècle. L'édifice, doté d'un chevet plat, est constitué de trois travées voûtées sur croisée d'ogives. L'ensemble de cette voûte porte un décor peint du début du XVIe siècle, commandité par l'abbé Antoine de Marcenac, véritable "prince de la Renaissance", qui dirigea l'abbaye de 1496 à 1518.

Ces peintures se caractérisent par l'association de motifs profanes et de thèmes religieux, le tout dans une grande cohérence iconographique et stylistique, une unité de coloris et une composition symétrique assez remarquable.

Inscrits dans des médaillons, se détachent nettement les symboles des quatre Évangélistes mais aussi des allusions à la Passion du Christ, à travers les représentations de la Sainte Tunique et de la Sainte Face. Cette dernière est ainsi arborée par un être hybride - torse d'homme et pattes de grenouille - assis en sautoir sur une sphère armillaire. Cette scène nous introduit dans un monde fantastique où l'exubérance et la métamorphose de la nature se déploient sur un fond doré assez irréel, traité en résille.

Outre ces thèmes rappelant le sacrifice du Christ, l'ensemble des peintures de la voûte se rattache au système décoratif des grotesques, né en Italie à la fin du XVe siècle, à la suite de la redécouverte des décors de l'Antiquité romaine. Les artistes de la Renaissance se plurent désormais à représenter l'ensemble de ces motifs que l'on retrouve aussi à Conques, exécutés par un peintre anonyme : êtres hybrides, animaux, candélabres, guirlandes, rubans et autres volutes... avec une prédilection ici toute particulière pour les rinceaux peuplés d'anges musiciens et d'oiseaux. Un œil exercé reconnaîtra même le portrait en médaillon du poète Virgile, ainsi qu'un cartouche, avec le sigle connu, cher au peuple romain : SPQR (Senatus Populus Que Romanus) ... La présence de putti espiègles, de joueurs de luth ou de tambourin, d'oiseaux prêts à s'envoler, au milieu d'une exubérance de feuilles d'acanthes et d'enroulements divers, confère au décor de cette chapelle une vitalité et une allégresse que seules viennent tempérer les "Armes du Christ".

Lire + Lire -

La chapelle Saint-Roch, à Conques, et son exceptionnel décor peint du début du XVIe siècle

Perchée sur un promontoire, au confluent de l'Ouche et du Dourdou, la chapelle aujourd'hui dédiée à saint Roch constitue le dernier vestige du château primitif de Conques, mentionné dès le XIe siècle dans le Livre des miracles de sainte Foy. Cet édifice, autrefois placé sous le vocable de Notre-Dame du château, deviendra par la suite le siège d'un prieuré sans cure. Il se compose, d'un point de vue architectural, de deux constructions juxtaposées : une sacristie, aux dimensions réduites, qui date peut-être de l'époque préromane, et la chapelle proprement dite, voûtée d'ogives, reconstruite dans la seconde moitié du XVe siècle.

Dépourvue de nos jours de son mobilier, la chapelle Saint-Roch conserve cependant, sur l'ensemble de ses murs intérieurs, et en attente d'une restauration, des peintures murales d'un grand intérêt artistique, ou plus exactement deux décors dont le plus récent, réalisé vers le milieu du XIXe siècle, recouvre et reproduit en grande partie, dans la chapelle, le plus ancien, exécuté quant à lui au début du XVIe siècle.

Souffrant par endroit - au niveau notamment de la carnation des personnages - d'une altération chromatique, ces peintures de la Renaissance, d'une qualité d'exécution assez remarquable, donnent à voir différentes scènes de la Passion du Christ, traitées selon des dimensions imposantes : Flagellation, Crucifixion et Mise au Tombeau. Des saints et des saintes, particulièrement vénérés en leur temps, notamment en raison de leur pouvoir thaumaturgique, ont été répartis dans les ébrasements des fenêtres et sur les murs de la minuscule sacristie. Un œil exercé reconnaîtra ainsi saint Antoine abbé, et son cochon, invoqué contre le mal des ardents, sainte Barbe devant sa tour, contre la mort subite, sainte Catherine d'Alexandrie, protectrice des mourants, saint Georges combattant le dragon, contre les serpents venimeux et la lèpre, sans oublier saint Sébastien - le saint protecteur par excellence (avec saint Roch) face au fléau de la peste - figuré, lors de son supplice, entre deux archers qui lui décochent des flèches.

La douleur et la mort, la souffrance et le martyre, mais aussi le combat contre la maladie et pour la vie éternelle constituent ainsi le fil conducteur de cet ensemble iconographique, sans doute voulu par un chanoine ou un riche marchand de Conques, au cours des premières décennies du règne de François Ier. Ce commanditaire, pour le moment anonyme, s'est même fait représenter agenouillé aux pieds de sainte Foy - la patronne de Conques -, au-dessus de la porte qui donne accès à la sacristie, bien en évidence ! L'inquiétude des hommes est de tous les temps...

Lire + Lire -

Pierre Chirac, un enfant de Conques devenu premier médecin du roi Louis XV

En cette triste période de pandémie, le corps médical, dans son ensemble, est très justement mis à l'honneur. S'il est une personnalité historique dont la cité de Conques peut s'enorgueillir, c'est bien aussi celle du médecin Pierre Chirac (1657-1732) dont la brillante carrière professionnelle le conduisit à Paris au service - et au chevet ! - des grands du royaume.

À son décès, en 1732, l'illustre académicien Fontenelle rédigea son éloge funèbre, fort documenté, mais qui contient toutefois une erreur quant à la date de sa naissance. Ce n'est pas en 1650 qu'il naquit à Conques, en Rouergue, mais bien en 1657, comme l'indique le registre paroissial du lieu.

Fils d'un modeste marchand de la bourgade, il suivit vraisemblablement une scolarité à Rodez, se rendit à Montpellier pour étudier la théologie et choisit dans un premier temps d'entrer en religion : son acte de tonsure est enregistré en 1675. En cette ville, il se vit confier, en tant que précepteur, les enfants de Chicoyneau, chancelier de l'Université et illustre médecin. Fort de cette protection, Chirac choisit alors d'embrasser une nouvelle carrière, en s'inscrivant à la Faculté de médecine en 1683. Très vite, il soutint son baccalauréat, sa licence et son doctorat, ce qui lui permit d'enseigner l'anatomie, puis d'obtenir une chaire en 1687.

Sa réputation grandissante l'amena à suivre, dès 1692, les armées du roi en Catalogne et en Saintonge où il sauva nombre d'hommes d'une épidémie de dysenterie. Un temps médecin du port de Rochefort, il réintégra la faculté de Montpellier, poursuivit de nombreuses recherches médicales qu'il publia, mais s'attira aussi de fortes inimitiés personnelles qui se traduisirent par d'incessantes controverses dans le domaine médical.

Cependant, au cours de sa longue existence, la chance sourit, à n'en pas douter, à Pierre Chirac. En 1706, il remplaça le médecin personnel du duc d'Orléans, neveu du roi, lors d'une campagne militaire que celui-ci effectuait en Italie. Il lui sauva même la vie lors du siège de Turin, soignant les plaies de son patient en y appliquant de l'eau de Balaruc...

Reconnaissant et admiratif à la fois, ce prince de cour allait récompenser, quelques années plus tard, le dévouement du médecin, l'invitant à le rejoindre de manière définitive.

Pierre Chirac quitta alors la capitale languedocienne et s'installa à Paris auprès de celui qui allait devenir régent de France.

Les postes de la plus haute responsabilité attendaient désormais l'humble enfant de Conques. En 1716, avec l'appui de Saint-Simon, il obtint l'intendance du Jardin du roi ; en 1728, il reçut ses titres de noblesse ; en 1731, il accéda - suprême honneur - à la charge de premier médecin du roi Louis XV.

Il ne devait malheureusement jouir de sa nouvelle fonction que durant peu de temps puisqu'il mourut à Marly, le 1er mars 1732.

Lire + Lire -

Trois linteaux romans ou
l'histoire de Conques gravée dans la pierre

À Conques, le programme sculpté de l'abbatiale romane (tympan, chapiteaux, statuaire) accorde une place importante aux inscriptions - généralement gravées - qui servent à expliquer ou à commenter les scènes représentées. Parfois même, elles permettent à un imagier de sortir de l'anonymat, tel ce Bernardus qui réalisa un chapiteau avec une figure d'ange tenant une banderole.

D'autres témoignages épigraphiques, exécutés à la charnière des XIe et XIIe siècles, sont à rechercher sur les anciens linteaux de portes.  Conques a la particularité d'en posséder trois, en calcaire, provenant sans doute des bâtiments monastiques érigés autour du cloître et démolis durant la période révolutionnaire. Pour les découvrir aujourd'hui, il suffit de pénétrer dans l'une des salles du musée Joseph-Fau ou de rejoindre le vaste espace couvert, ouvrant directement sur le cloître, à l'ouest.

Le linteau du musée Fau proviendrait d'une porte donnant accès, selon certains auteurs, à la Maîtrise du monastère ou, selon d'autres, au cimetière. L'inscription latine, gravée en belles capitales, forme « deux hexamètres léonins à rimes riches » et peut se traduire ainsi : « Bénis cette porte, Roi très bon, toi qui sauves le monde, et arrache-nous tous ensemble des portes de la mort. »

Les deux autres linteaux, en bâtière, comportent également des inscriptions latines. La première sentence nous invite à nouveau à franchir un seuil, peut-être celui de l'école monastique dont on sait qu'elle était particulièrement florissante à Conques, au tournant des XIe et XIIe siècles. Ce bloc de pierre fut signalé par Prosper Mérimée, lors de sa visite en 1837. Son sens en français pourrait paraître sibyllin : « ce lieu est commun aux maîtres et aux enfants. Ils y mettent, quand ils le veulent, les biens qu'ils ne veulent pas perdre. » Mais en définitive, plus qu'une mise en garde afin d'éviter la perte d'objets matériels, cette inscription fait vraisemblablement allusion au savoir et à la connaissance diffusés au sein de l'école.

L'autre message, délivré par le dernier linteau que l'on avait pris soin, au début du XIXe siècle, de réutiliser - non sans l'avoir retaillé au préalable - sur la façade d'une maison du village, s'avère d'une importance capitale pour les historiens de l'art roman. Le bloc de pierre s'orne, dans sa partie supérieure, d'une croix pattée, de quatre rosaces et des lettres alpha et oméga (« le commencement et la fin »). Au-dessous, une inscription, aujourd'hui tronquée, fournit un élément inestimable de datation. En effet, nous nous trouvons en présence d'une formule de consécration, inscrite dans le calendrier des hommes : [...]CARNATIONE DOMINI MILLESIMO C TE[...], (« L'an de l'Incarnation du Seigneur 1100, le troisième jour avant... »). Malheureusement, nous ne connaîtrons sans doute jamais la fin de la phrase qui rendait peut-être compte de « l'inauguration » du cloître de l'abbaye, voulu par l'abbé Bégon, et qui serait donc l'exact contemporain de celui que l'on peut admirer à Moissac.

Lire + Lire -

La halle médiévale de Conques

Parmi les éléments marquants du patrimoine architectural de Conques, il est un édifice, aujourd'hui disparu, qui joua dans l'économie locale un rôle de première importance : la halle publique, appelée aussi « pierre foiral ». Cette construction se situait à l'emplacement exact où s'élève, de nos jours, le monument aux morts. La démolition, durant le dernier quart du XIXe siècle, de cet antique bâtiment dont les origines remontaient au Moyen Age, résulte du percement et de l'élargissement de la rue principale qui traverse le village de nos jours.

Par chance, plusieurs érudits du Second Empire, Alfred Darcel en 1862, Trapaud de Colombe et Arcisse de Caumont l'année suivante, à l'occasion du passage à Conques du Congrès archéologique de France, avaient accordé une attention particulière à ce monument qui, fort heureusement, fit l'objet d'un dessin, reproduit en gravure par un dénommé Bouton.

Ainsi pouvons-nous encore apprécier l'aspect monumental, pour ne pas dire massif, de cette bâtisse, de plan carré, construite au plus fort de la pente. La charpente et la toiture reposaient sur quatre piliers quadrangulaires, et sur au moins deux des côtés trois mesures à grains étaient enchâssées dans la banquette extérieure, de telle sorte que, explique Trapaud de Colombe, « l'on versait le blé de l'intérieur de la halle et qu'on le recevait par dehors dans des sacs placés au-dessous des ouvertures de ces boisseaux fixes. On sait que ces mesures en pierre avaient des ouvertures à leur partie inférieure, et de petites trappes que l'on ouvrait quand la mesure était pleine pour que le blé pût s'écouler dans le sac de l'acheteur, placé au-dessous ». 

Taillées dans le grès, certaines de ces anciennes mesures ont été conservées et disposées, à proximité d'un lavoir, au bas de la ruelle qui conduit à la porte de Fer. Il serait intéressant, pour chacune d'elles, d'en déterminer la capacité et d'établir ainsi une comparaison avec celles qui subsistent ailleurs dans le Rouergue, par exemple à Aubin, Campagnac ou Compeyre.

L'inspecteur des Monuments historiques, Prosper Mérimée, à Conques en 1837

 Le 30 juin 1837, sous la monarchie de Juillet, deux hommes franchirent discrètement le seuil de l'abbatiale de Conques. Guidé par l'architecte ruthénois Etienne Boissonnade, c'est un hôte de marque, écrivain célèbre et grand voyageur, qui découvrait ainsi ce joyau de l'art roman, fortement dégradé cependant depuis la période révolutionnaire. Mais c'est au titre d'inspecteur général des Monuments historiques qu'il avait consenti, après avoir effectué depuis Paris un long et épuisant voyage en calèche, rythmé par de nombreuses étapes, à découvrir le monument, sur la recommandation de son correspondant local. Ce fringant jeune homme de 34 ans s'appelait Prosper Mérimée. 

C'est sur la demande du ministre de l'Intérieur, Thiers, que Mérimée effectua cette tournée d'inspection des richesses architecturales dans le Massif Central, d'abord en compagnie de l'écrivain Stendhal, puis seul. 

Le récit de son périple et de ses découvertes nous est connu par un rapport, intitulé Notes d'un voyage en Auvergne, publié en 1838, et par une correspondance piquante, écrite au jour le jour, en fonction des rencontres. « J'attends peu d'admiration de l'Aveyron, mais nous verrons pourtant de beaux paysages, et nous mangerons des cèpes et des fraises excellentes», écrit-il ironiquement le 18 juin 1837. Un jugement sur lequel il reviendra en découvrant successivement, arrivant de Figeac, Villefranche-de-Rouergue, Rodez et Conques.

Il séjourna, semble-t-il, soixante-douze heures dans le bourg monastique, prenant le temps d'admirer et de décrire dans le détail - et ce pour la première fois - l'abbatiale et son trésor d'orfèvrerie.  « Cette église a excité au plus haut degré l'attention de M. Mérimée qui, après l'avoir examinée dans toutes ses parties, a déclaré qu'il la considérait comme un monument parfait d'architecture byzantine » rend compte un journaliste local, peu de temps après son passage. Mérimée fut aussi vivement impressionné par l'originalité du cadre naturel et son caractère sauvage, pour ne pas dire sévère : « Le bourg de Conques est presque inaccessible pendant une partie de l'hiver en raison de la difficulté des chemins. » L'édifice roman, quant à lui, est « situé sur un versant extrêmement raide... dans une vallée étroite mais profonde que resserrent des murailles de rochers presque verticales.» 

Les observations de Mérimée s'avèrent d'un grand intérêt pour qui s'intéresse à l'état de conservation de l'abbatiale, après quatre décennies d'abandon. 

L'édifice est ainsi jugé relativement sombre car la plupart des fenêtres, à l'étage des tribunes, ont été bouchées. Un jubé, que Mérimée - ou Boissonnade - fait apparaître sur un plan au sol de l'église, dressé à l'occasion, ferme l'entrée du chœur ; quant au tympan du Jugement dernier, il est décrit par l'inspecteur avec force détails et l'archéologue avisé n'hésite pas à livrer un point de vue personnel : « Bien que le travail en soit barbare, on distingue, dans sa composition, plus d'art, et je dirai plus de sentiment qu'on n'en attendrait d'une époque grossière. Enfin, on y trouvera quelques traits curieux, qui peignent les mœurs et les usages... »

Ce rapport, une fois diffusé, déclencha une prise de conscience particulièrement salutaire de la part des autorités publiques qui débloquèrent les premiers fonds indispensables à la sauvegarde du monument. 

Dans la lettre de remerciement qu'il adressa aux dirigeants de la Société des lettres de l'Aveyron qui l'avait accueilli parmi ses membres, Prosper Mérimée, oubliant ses aprioris, résuma ainsi son court en voyage en Aveyron : « Le court séjour que j'ai fait dans votre département m'a laissé des souvenirs bien précieux... Bien qu'un peu blasé, par métier, sur l'architecture du Moyen Age, j'ai vivement senti les beautés originales de l'église Sainte-Foy, et je regarde sa conservation comme un devoir pour une administration amie des Arts. »

Lire + Lire -

Conques au XIXsiècle à travers la gravure

Quelques rares documents iconographiques anciens – ils datent de la première moitié du XIXe siècle – nous permettent de découvrir le bourg de Conques, tel qu’il s’offrait au regard des rares visiteurs du temps. L’exécution de ces gravures, dont certaines sont antérieures à la venue, en 1837, de l’inspecteur des Monuments historiques Prosper Mérimée, s’inscrit dans le cadre d’un phénomène nouveau : la redécouverte du patrimoine architectural du Moyen Age, ainsi que de son histoire. 

Mérimée tombe littéralement sous le charme du village et de son principal monument – l’abbatiale romane Sainte-Foy –, mais il est tout autant impressionné par la rudesse du cadre naturel, avec son caractère sauvage et inhospitalier. En ce sens, son récit s’inscrit pleinement dans un mouvement littéraire et culturel bien connu : le romantisme. 

Comme lui, quelques artistes (peintres et dessinateurs) ont conservé de Conques une vision toute personnelle bien qu’imprégnée des conventions esthétiques du moment. 

Certaines parmi ces œuvres, étaient destinées à illustrer un ouvrage de grande envergure qui vit le jour en 1833, les fameux Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France, de Taylor et Nodier, magnifiquement imprimé par le typographe parisien Firmin Didot. Les dessinateurs Chapuy et Monthelier surent ainsi traduire, avec finesse et sensibilité, leur perception de l’église romane, vue depuis la place de la Lausse (place Chirac), son chevet – en piteux état –, qu’entourait encore le cimetière désaffecté. Ils nous offrirent aussi une spectaculaire vue panoramique du bourg, prise depuis l’actuelle place de l’Etoile.

À quelques variantes près, ce même angle de vue fut celui que choisira, quelques années plus tard en 1836, un autre artiste, le talentueux François-Alexandre Pernot, qui parcourut l’ensemble du Rouergue, à la recherche de sites et monuments pittoresques à immortaliser par le crayon ou le pinceau. Ce dernier nous a légué, par ailleurs, une intéressante représentation de la façade occidentale de l’abbatiale, encore dépourvue des deux tours que l’architecte Jean-Camille Formigé conçut pour elle au début de la IIIe République.